Compléments: Quand les littéraires étaient aussi des scientifiques

par Georges Paturel last modified 2010 Apr 15 15:06


S'étant retiré en l666 à la campagne, près de Cambridge, un jour qu'il se promenait dans son jardin et qu'il voyait des fruits tomber d'un arbre, il se laissa aller à une méditation profonde sur cette pesanteur dont tous les Philosophes ont cherché si longtemps la cause en vain, et dans laquelle le vulgaire ne soupçonne pas même de mystère. Il se dit à lui-même : " De quelque hauteur dans notre hémisphère que tombassent ces corps, leur chute serait certainement dans la progression découverte par Galilée ; et les espaces parcourus par eux seraient comme les carrés des temps. Ce pouvoir qui fait descendre les corps graves est le même, sans aucune diminution sensible, à quelque profondeur qu'on soit dans la Terre et sur la plus haute montagne. Pourquoi ce pouvoir ne s'étendrait-il pas jusqu'à la Lune ? Et, s'il est vrai qu'il pénètre jusque-là, n'y a-t-il pas grande apparence que ce pouvoir la retient dans son orbite et détermine son mouvement ? Mais, si la Lune obéit à ce principe, quel qu'il soit, n'est-il pas encore très raisonnable de croire que les autres planètes y sont également soumises ?
" Si ce pouvoir existe, il doit (ce qui est prouvé d'ailleurs) augmenter en raison renversée des carrés des distances. Il n y a donc plus qu'à examiner le chemin que ferait un corps grave en tombant sur la Terre d'une hauteur médiocre, et le chemin que ferait dans le même temps un corps qui tomberait de l'orbite le la Lune. Pour en être instruit, il ne s'agit plus que d'avoir la mesure de la Terre et la distance de la Lune à la Terre ".

 


Au XVI siècle un arpenreur et son assistant dressent le plan d'une région :
Pour la mesure des distances, un cadran enregistre le nombre de tours de roue du carosse.

Voilà comment M. Newton raisonna. Mais on n'avait alors en Angleterre que de très fausses mesures de notre globe ; on s'en rapportait à l'estime incertaine des Pilotes, qui comptaient soixante milles d'Angleterre pour un degré, au lieu qu'il en fallait compter prés de soixante et dix. Ce faux calcul ne s'accordant pas avec les conclusions que M. Newton voulait tirer, il les abandonna. Un Philosophe médiocre et qui n'aurait eu que de la vanité, eût fait cadrer comme il eût pu la mesure de la Terre avec son système. M. Newton aima mieux abandonner alors son projet. Mais depuis que M. Picart eut mesuré la Terre exactement, en traçant cette Méridienne qui fait tant d'honneur à la France, M. Newton reprit ses premières idées, et il trouva son compte avec le calcul de M, Picart. C'est une chose qui me paraît toujours admirable, qu'on ait découvert de si sublimes vérités avec l'aide d'un Quart de cercle et d'un peu d'arithmétique.

La circonférence de la Terre est de cent vingt-trois millions deux cent quarante-neuf mille six cents pieds de Paris. De cela seul peut suivre tout le Système de l'Attraction.
On connaît la circonférence de la Terre, on connaît celle de l'orbite de la Lune, et le diamètre de cet orbite : La révolution de la Lune dans cet orbite se fait en vingt-sept jours, sept heures, quarante trois minutes ; donc il est démontré que la Lune, dans son mouvement moyen, parcourt cent quatre-vingt-sept mille neuf cent soixante pieds de Paris par minute ; et, par un théorème connu, il est démontré que la force centrale qui ferait tomber un corps de la hauteur de la Lune, ne le ferait tomber que de quinze pieds de Paris dans la première minute.
Maintenant, si la règle par laquelle les corps pèsent, gravitent, s'attirent en raison inverse des carrés des distances est vraie, si c'est le même pouvoir qui agit suivant cette règle dans toute la nature, il est évident que, la Terre étant éloignée de la Lune de soixante demi-diamètres, un corps grave doit tomber sur la Terre de quinze pieds dans la première seconde, et cinquante-quatre mille pieds dans la première minute.
Or est-il qu'un corps grave tombe, en effet, de quinze pieds dans la première seconde, et parcourt dans la première minute cinquante-quatre mille pieds, lequel nombre est le carré de soixante multiplié par quinze ; donc les corps pèsent en raison inverse des carrés des distances ; donc le même pouvoir fait la pesanteur sur la Terre et retient la Lune dans son orbite.

 

Etant donc démontré que la Lune pèse sur la Terre qui est le centre de son mouvement particulier, il est démontré que la Terre et la Lune pèsent sur le Soleil, qui est le centre de leur mouvement annuel.
Les autres planètes doivent être soumises à cette loi générale, et, si cette loi existe, ces planètes doivent suivre les règles trouvées par Képler. Toutes ces règles, tous ces rapports sont en effet gardés par les planètes avec la dernière exactitude ; donc le pouvoir de la gravitation fait peser toutes les planètes vers le Soleil, de même que notre globe. Enfin, la réaction de tout corps étant proportionnelle à l'action, il demeure certain que la Terre pèse à son tour sur la Lune, et que le Soleil pèse sur l'une et sur l'autre, que chacun des satellites de Saturne pèse sur les quatre, et les quatre sur lui, tous cinq sur Saturne, Saturne sur tous ; qu'il en est ainsi de Jupiter, et que tous ces globes sont attirés par le Soleil, réciproquement attiré par eux.

 

Voltaire - Lettres philosophiques

 

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