Les détecteurs en astronomie: approfondissements

par Georges Paturel last modified 2010 Apr 15 15:06


 

Le premier détecteur utilisé en astronomie fut l'œoeil. Nous avons décrit son fonctionnement quand nous avons parlé de la lumière et des couleurs. C'est un bon détecteur mais qui a un défaut : il n'enregistre pas de manière permanente l'image observée. Les premiers astronomes ont contourné ce problème en dessinant ce qu'ils voyaient. Galilée nous a laissé des dessins très impressionnants de la Lune, des taches solaires, des satellites de Jupiter et de Saturne. Il faut savoir que cette technique se pratiquait encore au siècle dernier, pour l'observation des taches solaires. Les techniciens reproduisaient quotidiennement leurs observations visuelles.

La photographie

La photographie a été une révolution pour l'astronomie. Elle permettait enfin une reproduction objective de la réalité. Nous en parlons au passé, car en quelques années, cette technique qui a dominé l'astronomie pendant plus d'un siècle, a été complètement supplantée par les capteurs électroniques. Il faut en parler car nombre de documents historiques sont encore sous la forme de clichés photographiques. Nous reproduisons ci-dessous une des premières photographies de la galaxie d'Andromède, faite en 1889 par I. Roberts, à une époque où on ne savait pas encore ce qu'était une galaxie. Le texte émerveillé de Flammarion, montre à quel point cette technique était révolutionnaire. Vous noterez aussi qu'il est fait mention du temps de pose : 4 heures.

On est bien loin des quelques secondes nécessaires maintenant pour obtenir un résultat équivalent.


La galaxie d'Andromède photographiée pour la première fois.

C'est François Arago qui montra en 1839 tout l'intérêt que les astronomes pouvaient tirer de l'invention de Niepce et de Daguerre. C'est d'ailleurs un astronome, J. Herschel, fils du célèbre William Herschel, qui utilisa le mot "photographie" pour la première fois.

Les plaques photographiques de Daguerre étaient constituées par un mince dépôt d'iodure d'argent sur du cuivre. Une fois exposée à la lumière au foyer d'un télescope, la plaque était développée par des vapeurs de mercure et fixée par une solution d'hyposulfite de sodium, qui dissolvait l'iodure d'argent non exposé. L'image apparaissait en positif.

La sensibilité était de 10 000 fois plus faible que les meilleures plaques qui furent produites ultérieurement. Néanmoins, grâce à cette technique, Fizeau et Foucault réussirent à mettre en évidence l'assombrissement du bord solaire.

Les émulsions photographiques furent constituées ensuite de bromure d'argent cristallisé en grains de quelques microns dans de la gélatine. Lors de l'exposition à la lumière, le bromure est libéré et piégé dans la gélatine, tandis que l'électron libre réduit l'ion argent en argent métallique selon les réactions :

AgBr + hn Ag+ + Br + e-
Ag+ + e- Ag

Cette sensibilité à la lumière des halogénures d'argent est un classique effet photoélectrique au sein du cristal.

Quand l'émulsion a été exposée à la lumière aucune image n'apparaît, mais il y a une image latente formée de traces d'argent métallique, comme nous venons de le voir. Ces traces vont servir de catalyseur lors du développement, qui se fait par exemple avec une solution de sulfate de méthylparaminophénol ou de paradioxybenzène (Il fallait y penser !).
La réaction est alors la suivante :

2AgBr + H2O + (R) 2Ag + 2BrH + (R)O

Où (R) est le produit de développement, qu'on appelle le "révélateur". L'acide bromhydrique doit être neutralisé au fur et à mesure par une base, sinon la réaction s'arrête à l'équilibre. Ensuite, un traitement de l'émulsion par un fixateur à l'hyposulfite de sodium permet de dissoudre le bromure d'argent non réduit (mais encore sensible à la lumière). Reste à faire un lavage prolongé et un séchage.

Pour montrer à quel point cette technique était laborieuse, rappelons quelques subtilités et quelques anecdotes liées à la photographique astronomique.

On comprend que le révélateur au voisinage des régions très exposées pouvait ne plus agir efficacement, par épuisement. Il fallait donc agiter continuellement le révélateur pendant le développement, sous peine de voir les régions très sombres du cliché s'auréoler d'un liseré clair, moins bien développé. Cet effet a conduit les astronomes à imaginer des cuves oscillantes, ou à faire le développement au pinceau, afin de brasser régulièrement le révélateur. Toutes ces opérations étant effectuées dans le noir complet, elles ont donné lieu à de multiples erreurs : tel l'astronome qui se trompait de cuve et fixait le cliché avant de le révéler ; celui qui lavait consciencieusement le cliché à l'eau chaude, prompte à fondre la gélatine ; celui qui simplement cassait un cliché précieux, après plusieurs heures de pose ; ou celui-ci qui oubliait d'éteindre la lumière pour développer.

Revenons à l'exploitation astronomique des clichés. La caractéristique la plus gênante des plaques photographiques (hormis leur faible sensibilité), était leur manque de linéarité. Un éclairement double ne produisait pas un noircissement double du cliché. La courbe de réponse avait l'allure suivante :

 

Le noircissement se mesure d'une façon précise par la densité optique. Si vous envoyez un faisceau de flux Fo sur une zone noircie et qu'après la traversée le flux est réduit à F, la densité optique est, par définition

D = log Fo/F

Des appareils spéciaux (densitomètres) permettaient d'enregistrer la densité optique en chaque point du cliché. Mais il fallait convertir ces densités en éclairements. Il fallait donc construire la courbe de réponse pour chaque cliché. Habituellement, cela était réalisé par un "sensitomètre" qui permettait de créer une série de spots de différents éclairements, dans un coin du cliché. Cette opération était réalisée soit après la pose sur le ciel, soit pendant la pose avec une source auxiliaire. Il fallait que l'exposition soit de même durée que celle réalisée sur le ciel car les plaques photographiques présentaient un défaut dit de "réciprocité" : une exposition deux fois plus longue ne compensait pas un éclairement deux fois moindre.

Malgré toutes ces difficultés, la photographie nous a laissé une héritage fabuleux d'images, comme les Atlas Généraux du Mont Palomar et de l'European Southern Observatory, qui ont permis de couvrir tout le ciel avec une résolution étonnante, sur des plaques photographiques de 40 cm X 40 cm, couvrant chacune un champ de 6° x 6°.

 


Cliché OHP T120 L1545, G.Paturel
Un cliché photographique montrant une galaxie (NGC 3320)
et les spots du sensitomètre (en haut à gauche)
pour la calibration.

Le but était d'utiliser la partie linéaire (région L) de la courbe de réponse. Mais pour les images d'étoiles, le centre était souvent dans le domaine de saturation (région S), alors que les galaxies faibles pouvaient être dans le domaine de sous-exposition (région SE). Exceptionnellement on pouvait atteindre le domaine dit de solarisation (région SO) où la densité optique commence à décroître quand l'éclairement augmente. La solarisation donne parfois des effets artistiques.

 


G.Paturel et J. Rey
Effet de solarisation sur une photo artistique d'arbre.

 

Les caméras électroniques et les amplificateurs de brillance

Pour améliorer les performances de la photographie classique, divers systèmes ont été imaginés, tous faisant appel à de l'optique électronique. Ces appareils ont progressivement disparu au profit des CCD mais ils ont permis quelques belles réussites, même s'ils sont restés des instruments de laboratoires spécialisés.

La première caméra électronique fut celle de A. Lallemand. Une cathode exposée à la lumière au foyer d'un télescope émettait des électrons. Ceux-ci, convenablement accélérés et focalisés par une optique électronique, venaient impressionner une émulsion photographique. On obtenait ainsi une réplique de l'image formée sur la cathode, mais avec une efficacité quantique bien supérieure. En effet, un électron est fourni en moyenne par quelques photons seulement et chaque électron émis donne une trace sur la plaque photographique. Par comparaison il faut des centaines de photons, en moyenne, pour impressionner une émulsion photographique classique. L'ensemble du système devait être maintenu sous un vide poussé. Pour changer les plaques photographiques il fallait ouvrir la caméra, ce qui détruisait la cathode. La cathode devait donc être changée régulièrement. La nouvelle cathode était introduite dans une ampoule de verre où régnait un vide poussé. Une fois le vide de la caméra refait, l'ampoule était brisée. La cathode était prête pour un nouveau jeu de plaques photographiques.

 


Principe de la caméra électronique de A. Lallemand.

Pour éviter la destruction des cathodes, quelques astronomes ont réalisé un sas, qui permettait d'isoler momentanément la cathode du compartiment des plaques photographiques. Certains ont réussi à isoler les deux compartiments par une membrane (Caméra de P. Griboval). Ces difficultés techniques expliquent le relativement faible développement des caméras électroniques.

Parmi les découvertes importantes faites grâce à une caméra électronique, citons la première mise en évidence de la galaxie sous-jacente à un quasar, découverte faite par G. Wlérick et son équipe.

Il y eut une brève tentative pour éviter le problème lié à la destruction de la cathode des caméras électroniques. L'idée était d'envoyer les électrons produits par la photocathode sur une surface phosphorescente, comme dans un oscilloscope, et de photographier cette surface en y appliquant une plaque photographique. La cathode était complètement isolée. Le vide était fait une fois pour toute dans l'ampoule. Ces appareils, appelés des "amplificateurs de brillance", étaient très facile à manipuler mais on retrouvait, le problème de la non linéarité du récepteur, aggravé par la réponse propre du phosphore. Néanmoins ces appareils connurent un certains succès pour la détection, en particulier dans des domaines de longueurs d'onde où les émulsions photographiques avaient un mauvais rendement (infrarouge).

Les photomètres photoélectriques

Pour les mesures de grande précision, les astronomes utilisèrent les photomètres photoélectriques. De quoi s'agit-il ? Dans le principe, il y avait une certaine similitude avec ce que nous avons vu pour la caméra électronique : une cathode reçoit des photons et émet des électrons par effet photoélectrique. Ces électrons sont accélérés par des tensions successives élevées (par exemple 1 500 V). Le nombre de ces électrons est multiplié par un processus de cascade. Un électron frappe une grille (dynode) qui émet plusieurs électrons, qui à leur tour vont frapper une autre dynode qui émet plusieurs électrons etc. Si chaque dynode émet n électrons pour un électron incident, après cascade sur m dynodes, le nombre d'électrons aura été multiplié par nm. Par exemple, avec 5 électrons réémis par dynode et 9 dynodes, on a un facteur multiplicatif de 59 = 2.106. La mesure du courant, à l'anode, produit par ces électrons, conduit à une mesure précise de flux lumineux. La linéarité et la sensibilité de tels récepteurs sont excellentes. La mesure du courant se fait souvent par intégration, c'est-à-dire que l'on charge un condensateur pendant un temps donné. A la fin de cette "pose", on mesure la tension aux bornes du condensateur.

 


Cellule photoélectrique à multiplication d'électrons (dite PM).


Un photomètre photoélectrique.
      Un photomètre photoélectrique est relativement simple dans son principe. Le montage optique de Ch. Fabry, consiste à former l'image du miroir du télescope sur la photocathode. Il est facile de calculer où doit se placer la photocathode pour satisfaire à cette condition (voir activité). Ainsi, quel que soit le champ visé, c'est toujours la même partie de la photocathode qui est utilisée, ce qui garantit une grande stabilité. En effet, la sensibilité de la photocathode n'est pas uniforme et sans le montage de Fabry le signal obtenu pour un éclairement uniforme dépendrait du point considéré dans le champ. Nous verrons plus loin que c'est ce qui se passe pour les capteurs CCD, ce qui oblige à certaines précautions.

L'inconvénient de ce type de photomètre est de ne fournir qu'un seul canal de mesure. Il est donc plus adapté à la mesure d'étoiles individuelles. Des filtres, interposés dans le faisceau, permettent d'isoler un domaine spectral bien défini pour réaliser, après plusieurs mesures, une sorte de spectrophotométrie à basse résolution. Notons aussi un détail. Dans le montage classique, le filtre fonctionne en faisceau divergent. Ce n'est pas un inconvénient pour les filtres en verre, mais pour les filtres interférentiels la bande passante peut être notablement modifiée. Ce type de photomètre a été employé pour les mesures d'objets étendus, comme les galaxies, en "photométrie d'ouverture" : des ouvertures circulaires concentriques découpent sur l'objet des régions de plus en plus grandes. On peut reconstituer ainsi le profil photométrique de l'objet étendu.

Bien entendu, il faut après chaque mesure, effectuer une mesure du fond de ciel voisin, en décalant le télescope et le soustraire à la mesure "étoile plus fond", pour obtenir la contribution de l'étoile seule. La cellule photoélectrique doit être refroidie pour limiter le courant d'obscurité. Ce type d'appareillage, fort apprécié pour sa précision, a été maintenant complètement supplanté par les détecteurs CCD universellement utilisés pour la photométrie stellaire ou pour la photométrie d'objets étendus.

Les CCD et les Webcams

Ce type de détecteur est devenu rapidement très familier dans le public, par son emploi dans tous les appareils photographiques numériques. L'acronyme CCD vient de l'abréviation de "Charge-Coupled Device", que l'on pourrait traduire par "système à charges couplées". Un CCD est composé d'une multitude de petits récepteurs photoélectriques individuels, déposés sur un monocristal de silicium. Chacun d'eux constitue un minuscule élément d'image, ou pixel (abréviation de "picture element").

Le récepteur est ainsi composé d'un damier de pixels. Quand un pixel est éclairé, les charges générées par effet photoélectriques, s'accumulent en restant sur le pixel.

Comment fait-on la lecture du signal de chaque pixel ? Par des tensions appliquées entre deux cellules adjacentes, on peut faire migrer les charges accumulées sur un pixel au pixel adjacent. Les tensions sont appliquées de telle sorte que toutes les charges migrent sur une ligne, puis que toutes les charges de la ligne migrent à leur tour vers la sortie, où leur lecture fournit à la fin du processus, une mesure de chaque pixel. Le schéma ci-dessous illustre le principe, pour un CCD de 4 x 4 pixels.

 


Principe de la méthode de lecture d'un CCD.

Le pilotage des cycles de mesure est fait par l'électronique associée. Le récepteur CCD apparaît donc comme un système autonome d'un emploi très simple.

Les récepteurs astronomiques peuvent compter plusieurs dizaines de millions de pixels. Les récepteurs sont parfois groupés en mosaïque, pour couvrir un champ plus large. Pour obtenir le meilleur rapport signal sur bruit, il faut refroidir le CCD. Les récepteurs CCD pour l'infrarouge, sont couramment refroidis à la température de l'azote liquide.

Les Webcams sont constituées de manière semblable. Elles ont moins de pixels (par exemple 640 x 480, c'est-à-dire 307200 pixels) afin de fournir des images de faibles tailles, capables de transiter sur le réseau Internet. IL y a aussi une autre différence par rapport à un CCD classique : la Webcam donne des images en couleur. Il y a donc une sélection chromatique qui est effectuée et qui n'est pas maîtrisable. Par exemple, si vous photographiez un spectre, vous perdrez les raies spectrales des régions extrêmes (UV et IR), alors qu'un CCD classique restituera ces mêmes raies, en niveaux de gris évidemment (avec néanmoins une faible sensibilité en UV). Ceci étant, les Webcams conviennent parfaitement à la photographie astronomique d'amateur. Associées à un logiciel gratuit comme IRIS (création remarquable de Christian Buil), elles permettent de réaliser des clichés que n'auraient pas reniés les astronomes professionnels.

Cependant, nous concevons immédiatement qu'il y a un problème pour obtenir une bonne qualité de mesure. Chaque pixel se comporte comme un récepteur indépendant ayant sa propre sensibilité. Il y aura une précaution à prendre pour éviter ce défaut. C'est ce que nous allons voir dans la prochaine section.

 

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