Le spectre continu du corps noir

par Marie-Agnès Lahellec last modified 2015 Jun 10 19:52

Nous traiterons ici les points suivants :

1 - Le spectre du corps noir - loi de Planck
2 - Relation température - couleur : loi de Wien
3 - Relation entre la puissance totale rayonnée, la température et la surface : loi de Stefan

Nous savons bien que la température a une certaine relation avec le rayonnement : plus un feu est chaud, plus il émet une lumière intense. Ce que nous entendons par température est en fait l'importance de l'agitation des molécules qui constituent le liquide contenu dans le thermomètre qui la mesure, cette agitation étant transmise par le milieu dans lequel on a plongé le thermomètre. La température d'un milieu décrit donc l'énergie d'agitation des particules qui constituent ce milieu : plus un gaz est chaud, plus les atomes ou les molécules de ce gaz sont animés de vitesses élevées. On qualifie parfois la température ainsi définie de "température cinétique", car elle est une mesure de l'énergie cinétique des particules du gaz supposé parfait.

Le concept de température peut s'étendre aux corps liquides ou solides, mais la situation y est un peu plus compliquée que dans un gaz parfait, parce que les particules ne sont pas séparées et libres de se mouvoir comme elles le sont dans un gaz. Nous nous limiterons dans la suite au cas d'un gaz, qui est celui le plus fréquent en astrophysique, et nous mesurerons les températures dans l'échelle Kelvin où la température est nulle quand l'agitation cinétique est nulle. La température Kelvin est égale à la température Celsius augmentée de 273.

La matière est capable d'émettre ou d'absorber de la lumière. Les caractéristiques du rayonnement émis ou absorbé, telles que par exemple sa longueur d'onde ou son intensité, dépendent en général de nombreux facteurs liés à l'état physico-chimique de la matière. L'un de ces facteurs est la température, mais la composition chimique ou la pression du gaz jouent également un rôle important.

 

LE SPECTRE DU CORPS NOIR - LOI DE PLANCK

Dans le cas d'un corps opaque, totalement isolé et maintenu à température constante, la distribution spectrale de la lumière qu'il émet, ou absorbe, ne dépend que de la température du corps. Un tel corps est connu sous le nom de "corps noir". Les lois caractérisant l'état de la lumière dans un corps noir ont été établies à la fois expérimentalement et théoriquement. Elles caractérisent la luminance spectrale énergétique de la source en fonction de la longueur d'onde, la longueur d'onde pour laquelle cette luminance est maximale et la puissance totale rayonnée dans toutes les longueurs d'onde. Chacune de ces grandeurs fait intervenir un seul paramètre physique qui est la température du corps noir.

On définit la luminance spectrale énergétique I d'un champ de rayonnement, dans une direction donnée, à partir de l'énergie dE transportée dans cette direction par le rayonnement de longueur d'onde compris entre l et l + dl, dans l'intervalle de temps dt, à travers un élément de surface dS perpendiculaire à la direction et dans un angle solide dW, en écrivant :

dE = I(l) dS dt dW dl

La luminance spectrale I ainsi définie ne dépend plus, pour un rayonnement de corps noir, que de la température T et de la longueur d'onde selon une loi établie par Planck et qui porte son nom :

 

I(l) = (2hc2/l5)/[ehc/lkT-1]

 

où h, k et c sont des constantes universelles, respectivement la constante de Planck (h = 6,62 x 10-34 J s), la constante de Boltzmann (k = 1,38 x10-23 J K-1) et la vitesse de la lumière dans le vide. Il s'agit donc d'un spectre continu.

Ce qu'il convient essentiellement de retenir dans cette loi, c'est que les courbes décrivant la lumière spectrale de corps noirs à différentes températures (en fonction de la longueur d'onde) ont toutes la même forme et sont "emboîtées" les unes dans les autres


La luminance spectrale énergétique L
est donnée en fonction de la longueur d'onde
pour trois corps noirs de températures 4000 K, 5000 K et 6000 K.

 

On notera que la luminance d'un corps noir est d'autant plus grande que la température est plus élevée. La loi de Planck montre également que le rayonnement du corps noir est le même dans toutes les directions : il est isotrope.

 

RELATION TEMPÉRATURE - COULEUR : LOI DE WIEN

La courbe représentative de la loi de Planck, I (l), en fonction de l à température constante passe par un maximum, ce qui veut dire qu'un corps noir, bien qu'il rayonne dans toutes les longueurs d'onde, émet préférentiellement dans un domaine particulier. La longueur d'onde lm qui correspond au maximum de rayonnement, est inversement proportionnelle à la température Kelvin T :

 

lm T = 2,9 x 10-3 m . K.

Cette relation s'écrit souvent sous une forme plus commode, en exprimant la longueur d'onde en microns :

 

lm T = 2900 mm. K.

Elle porte le nom de loi de Wien, du nom du physicien qui l'avait mise en évidence expérimentalement, avant que la loi de Planck soit établie.

On peut comprendre qualitativement son origine : dans un milieu en équilibre, par le jeu des absorptions et des émissions successives de lumière par la matière, les photons, dans leur majorité, ont la même énergie que celle qui caractérise les particules matérielles ; cela montre que

 

hn = hc/l

est de l'ordre de kT, ce qui entraîne que l varie comme l'inverse de T.

Ainsi, à faible température, le maximum de rayonnement se produit pour de grandes longueurs d'onde ; à plus haute température, il se déplace vers des longueurs d'onde plus courtes. A la température ambiante d'une pièce, le rayonnement thermique, qui provient des murs ou des objets disposés dans la pièce, se produit essentiellement dans l'infrarouge lointain : pour une température de l'ordre de 300 K, on voit que le maximum du rayonnement est émis vers 10 mm. Ce n'est qu'à des températures beaucoup plus élevées qu'un corps rayonne à des longueurs d'onde assez courtes pour que le rayonnement soit visible.

Le rayonnement émis par les étoiles est assimilable, en première approximation, à un rayonnement de corps à température élevée. Ce rayonnement est généralement centré dans la partie visible du spectre et même parfois au-delà, dans l'ultraviolet. Le Soleil, par exemple, émet le maximum de son rayonnement dans le vert. Mais la quantité de lumière émise par le Soleil dans tout le domaine visible est suffisante pour qu'il paraisse blanc à l'observateur quand il est haut dans le ciel. Il paraît jaune, et même rouge, quand il est bas sur l'horizon ou en partie masqué par des nuages parce que les radiations de grande longueur d'onde sont moins diffusées que celles de courte longueur d'onde.

Notre oeil étant insensible aux longueurs d'onde plus grandes que celle du rouge ou plus courtes que celle du violet, il ne perçoit pas toute l'énergie rayonnée dans ces domaines. Une étoile plus froide que le Soleil émet davantage aux grandes longueurs d'onde et moins aux courtes longueurs d'onde. De ce fait, elle paraît plus rouge. En revanche, une étoile plus chaude paraît plus bleue.

On peut déceler très facilement à l'oeil nu les couleurs des étoiles brillantes. Par exemple, dans la constellation d'Orion, Bételgeuse est rouge alors que Rigel est bleue. Antarès, dans la constellation du Scorpion, est très rouge et doit d'ailleurs son nom, qui veut dire "rivale de Mars", à sa couleur (les anciens grecs avaient pensé qu'Antarès pouvait être une autre planète rouge).

Cependant, l'oeil perd la capacité de déceler les couleurs pour les objets faiblement brillants, et les couleurs des étoiles peu brillantes ne sont plus décelables. Il faut regarder un champ d'étoiles à travers un télescope ou une paire de jumelles pour que leurs couleurs deviennent frappantes.

Les couleurs apparentes des étoiles correspondent donc à leur température superficielle. Dans la mesure où l'on peut assimiler le rayonnement d'une étoile à celui d'un corps noir, la loi de Wien nous permet de déterminer cette température. Elle nous conduit à une valeur de l'ordre de 3 000 K pour Antarès ou Bételgeuse, de 6 000 K pour le Soleil et de 20 000 K pour Rigel. Cependant les étoiles ne sont pas à température uniforme, ce qui implique en particulier qu'elles ne sont pas exactement assimilables à un corps noir ; les températures que nous venons de citer concernent les régions les plus superficielles, là où se forme l'essentiel du rayonnement qui nous parvient.

 

RELATION ENTRE LA PUISSANCE TOTALE RAYONNÉE, LA TEMPÉRATURE ET LA SURFACE : LOI DE STEFAN

La puissance totale L rayonnée par un corps noir dans toutes les longueurs d'onde et dans toutes les directions est proportionnelle à sa surface S et à la quatrième puissance de sa température :

 

L = s S T4

Cette loi porte le nom de loi de Stefan. Si deux étoiles ont la même température superficielle, c'est la plus grosse qui rayonne la plus grande puissance. Si deux étoiles ont même rayon et si l'une a une température deux fois plus élevée, elle rayonne un puissance 16 fois plus grande. C'est cette dépendance importante en fonction de la température qui explique la grande luminosité des étoiles en dépit de leurs dimensions relativement modestes : elles sont aussi brillantes parce qu'elles sont chaudes. Par exemple, le Soleil a un rayon cent fois plus grand environ que celui de la Terre et une température superficielle à peu près 20 fois plus élevée. Il rayonne donc 1,6 x 109 fois plus que la Terre ; s'il était à la même température, sa puissance rayonnée ne serait plus que 10 000 fois celle de la Terre, compte tenu de la valeur plus grande de son rayon.

La loi de Stefan est un outil précieux pour l'astronome, car elle permet d'évaluer le rayon des étoiles. En effet, si l'on sait mesurer l'énergie totale rayonnée chaque seconde par l'étoile (que les astronomes appellent sa luminosité) et déduire sa température de la loi de Wien (par l'observation de son spectre et la détermination de lm), on peut en déduire sa surface S, donc son rayon. Il faut cependant remarquer que la loi de Stefan fait intervenir la puissance globale rayonnée par l'étoile dans tous les domaines de longueur d'onde, y compris ceux situés en dehors du domaine visible. Il ne suffit donc pas de mesurer la puissance rayonnée par une étoile dans le visible. Si l'étoile rayonne comme un corps noir, on peut évaluer la proportion d'énergie qu'elle rayonne en dehors du domaine visible, en fonction de sa température. La puissance totale rayonnée par l'étoile est proportionnelle à l'aire comprise entre la courbe des variations de I(l) et l'axe des longueurs d'onde. Cette proportion varie beaucoup avec la température. Une étoile très bleue, donc très chaude, rayonne surtout dans l'ultraviolet ; au contraire, une étoile rouge, donc relativement froide, rayonne surtout dans l'infrarouge. Il est donc important de disposer d'observations dans toutes les gammes du spectre.

 

 

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