Les comètes dans l'histoire

par Francis Berthomieu last modified 2014 Dec 03 11:39



Quand une comète apparaissait dans le ciel, on la prenait généralement pour une tête échevelée, une torche sanglante, un javelot meurtrier...

 

De nos jours encore, les indiens Pawnees d'Amérique du Nord y voient de la matière cérébrale. Pour les Senecas c'est une vieille sorcière, sur son balai de feu, que son jeune amant lassé, aurait un jour précipitée au fond du gouffre sans fin de l'Univers.
Les Machiguengas des Andes y voient les cadavres des rivaux qu'un indien jaloux expédia dans l'éther infini...

 

Et les Anciens, qu'en pensaient-ils ?

Ceux que l'on dit les plus éclairés, les Grecs, se querellent : les comètes sont-elles des planètes ? Et pourquoi donc ont-elles une queue ?

ARISTOTE y voit des phénomènes météorologiques, puisqu'elles ne cessent de changer d'aspect :

    " Nous avons posé que la partie supérieure du monde entourant la Terre,
au dessous de la translation circulaire, est l'exhalaison sèche et chaude.
Or cette exhalaison elle-même, ainsi qu'une grande partie de l'air qui lui est immédiatement inférieur,sont emportées autour de la Terre par la translation et le mouvement circulaire.

Lorsque dans cette matière condensée de cette façon, vient à tomber, par suite d'un mouvement d'en haut, un principe igné, ni assez considérable pour consumer rapidement cette matière dans toute son étendue, ni assez faible pour s'éteindre peu après, mais suffisamment vigoureux et capable de consumer une certaine quantité de matière, et lorsqu'en même temps, vient à s'élever d'en bas, à sa rencontre, une autre exhalaison d'une consistance convenable, alors une comète prend naissance".

 

Aristote

Le grand SENEQUE, au tout début de l'ère chrétienne, suggère que les comètes sont de simples corps en mouvement, et qu'elles doivent revenir périodiquement... Mais, pense-t-il, ces intervalles sont trop longs pour qu'on puisse en conserver la mémoire.

" Le temps viendra où une étude attentive et poursuivie pendant des siècles fera le jour sur ces phénomènes de la nature.
A supposer qu'elle se donnat toute entière à la connaissance du Ciel, une seule vie ne suffirait pas à de si vastes recherches ...

Et nous partageons inégalement entre l'étude et le vice le petit nombre d'années que nous avons !

Aussi faudra-t-il pour résoudre tous ces problèmes de longues successions de travailleurs".

 

Sénèque
Livre VII des "Questions naturelles"
consacré aux comètes

 

Pour la grande majorité des hommes cependant, le caractère magique des comètes demeure essentiel. Pline l'Ancien nous dévoile ainsi en 77 l'opinion de ses contemporains.

" Les Grecs appellent "comète" et les Romains "étoiles chevelues" celles qui sont hérissées d'une touffe de poils couleur de sang, se dressant à leur sommet comme une chevelure.

Les Grecs nomment "Pogonias" (barbues), celles qui traînent à leur partie inférieure une crinière en forme de longue barbe.
Les "Acontias", présages d'événements tout à fait imminents,filent comme des javelots.
Les "Certias" ont la forme d'une corne.
Les "Lampadias" imitent les torches ardentes. Les "Hippias", des crinières de chevaux animées d'un mouvement très rapide et tournoyant sur elles-mêmes.
On rencontre aussi les comètes "Boucs" d'aspect poilu, enveloppées d'une sorte de nuage.

Il est arrivé une fois qu'une crinière s'est transformée en lance...".

Pline l'Ancien

 

Franchissons quelques siècles...

Et relisons l'avis d'Andréas Celichius, évèque luthérien d'Almach, fortement inspiré par les thèses aristotéliciennes et très catégorique dans ses opinions.

"L'épaisse fumée des péchés humains s'élève chaque jour, à chaque heure et à chaque instant tout emplie de puanteur et d'horreur devant la face de Dieu.
Elle devient peu à peu si épaisse qu'elle en forme une comète à la chevelure tressée, qui est finalement enflammée par la colère du Suprème Juge Céleste".

 

Andréas CELICHIUS,
évèque luthérien d'Almark (1568)

   

En attendant, les observations de comètes se poursuivent : Tycho BRAHE note avec précision les positions successives d'une comète dans le ciel danois et a l'heureuse idée de les comparer avec celles d'un collègue de Prague.
Il en tire une stupéfiante conclusion : l'absence de parallaxe prouve que la comète est bien au delà de la Lune, et que ce phénomène n'a rien de météorologique !

Et voici son brillant élève Johannes KEPLER. Lui aussi a son mot à dire.
Mais que de surprises !
Que voilà d'étranges idées pour celui qui placera bientôt les planètes sur des orbites elliptiques !
Si l'on veut bien le croire, les comètes naîtraient par génération spontanée .

 

" Il semble que l'on puisse considérer l'apparition et la nature des comètes de la façon suivante : Comme les eaux, surtout salées, ont donné naissance aux poissons, de même l'éther l'a fait pour les comètes.

Comme il n'a pas plu au Créateur que les immenses solitudes de l'Océan demeurassent simplement vides et inhabitées, mais comme il a bien plutôt voulu qu'elles soient fréquentées par certains types d'animaux comme les grands cétacés et toute sorte de monstres, il nous faut penser de même de la profondeur immense de l'éther liquide :

Il est de sa nature qu'il produise les comètes de lui-même, afin que cette région ou cet élément ne soit point vide.
Il arrive de temps en temps que l'éther, en certaines régions s'épaississe..

Alors une purgation et une purification sont nécessaires et cette faculté qui se trouve dans la substance de l'aura éthérée - semblable à une faculté vitale ou animale - la produit précisément."

Johannes KEPLER

 

Un peu plus inspiré, KEPLER propose de plus sympathiques hypothèses pour expliquer la queue des comètes.

"La matière étant condensée en sphère du fait des matériaux qui la composent et les rayons du Soleil pénétrant et poussant ce globe transparent, j'estime que des éléments de la matière même de la comète la quittent dans le même sens que les rayons qui la traversent.
De cette façon, le corps de la comète est complètement irradié, coloré, limé, et enfin anéanti.

Et comme le bombyx filant son fil, la comète se consume en sécrétant sa queue et finit par mourir.

Ainsi sur la Terre, le Soleil fait passer et efface presque toute nuance de couleur sur nos tissus, en les frappant de ses rayons au point de les rendre presque blancs.
Qu'en serait-il si les fils étaient transparents comme il est dit de la comète".

 

Johannes KEPLER

Mais que penser de cet "Astrologue Impérial" et de ses divagations ésotériques?

"Je ne nierai pas d'emblée qu'une pestilence ne puisse suivre certaines comètes par une loi de la Nature, surtout si la queue balaie la Terre...
Je répète des dogmes connus :
Chaque fois que se produit quelque chose de nouveau dans le ciel, soit des configurations assez rares, soit des étoiles nouvelles, soit des comètes, la faculté du monde sublunaire le pressent et s'en trouve affectée et par là se trouvent unies les facultés de l'éther à toutes les choses du monde sublunaire...

Cette faculté de la Terre, affectée par l'apparition inattendue de la comète, fait qu'en tel ou tel lieu terrestre des vapeurs vont s'élever.
Alors on aura des pluies persistantes.

Et comme les êtres vivants entretiennent leur vie en respirant l'air, en raison d'un excès d'humidité ou du fait d'exhalaisons nitreuses arsénicales ou sulfureuses se déclenchent des épidémies de céphalées, de vertiges, de cathares comme en 1582, ou enfin de peste, comme en 1596

En revanche, en certains lieux, l'humidité étant peut-être épuisée cette faculté travaille la matière solide ce qui produit des exhalaisons sèches qui stérilisent les glèbes".

 

Johannes KEPLER

L'apothéose de la Science triomphante devra donc attendre NEWTON, comme le dit si bien Alexander POPE...

 

" La Nature et ses Lois se cachaient dans la Nuit Dieu dit : "Que NEWTON soit !" et tout devint lumière".

Alexander POPE

Et bien que les faits soient rarement connus, c'est une comète qui apportera la première éblouissante confirmation de ses théories.
C'est en effet à la demande de Edmund HALLEY que NEWTON, solitaire et ombrageux, finira par rédiger au propre les 9 pages du "de Motu Corporum in Girum", qui démontrent que si les planètes décrivent des ellipses autour du Soleil, c'est à cause d'une attraction inversement proportionnelle au carré de leur distance au Soleil.

 

" La comète rétrograde, qui parut en 1607, décrit un orbe qui s'accorde assez juste, selon les calculs de Halley, avec celui de la comète qui parut en 1682. En supposant que ces deux comètes n'aient été qu'une seule et même, on trouvera que le temps de sa révolution est de 75 ans, que le grand axe de son orbe est au grand axe de la Terre comme la racine cubique du carré de 75 ou comme 1778 à 100 environ...

Tout cela se trouvera prouvé si cette comète revient dans ce même orbe au bout de 75 ans..."

 

Isaac NEWTON
Principes Mathématiques de la Philosophie Naturelle, 1687

   

Ces quelques pages deviendront quelques temps plus tard, et toujours sous la pression amicale de HALLEY, les fameux "Principia".

Pour HALLEY c'est la révélation ! Il peut prévoir la date du retour de SA comète... et elle sera au rendez-vous !
Et encore au rendez-vous, de révolution en révolution, jusqu'à sa rencontre avec les sondes spatiales modernes en 1986 !

Boules de neige sale, les comètes ont-elle perdu leur charme mystérieux ?

D'ARISTOTE à ARIANE, les mythes se sont modernisés : les rêveurs d'aujourd'hui envisagent de se poser en douceur sur une comète et d'en percer définitivement les secrets.

Mais alors, plus rien à attendre ? Plus rien à espérer ?
Pas même un Petit Prince, assis sur ce rocher gelé, pour nous demander ingénuement : "Dessine moi un mouton".

Que pourra-t-on demander à une poussière ?

Je crains que ce jour là, les poètes ne soient en deuil.

Alors laissons le mot de la fin à celles que l'on nomme déjà "étoiles des neiges", sous la plume de Paul ELUARD :

 

"Ah ! dit-elle au plus bas de sa mémoire
je suis venue au monde pour ne pas vieillir.
Jeunesse m'a suffi
je n'attendais rien d'autre,
je vivais de lumière et je n'y pensais pas".

Paul ELUARD

 

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