Quand Römer rencontra Doppler

par Francis Berthomieu last modified 2010 Oct 08 13:36


Déçu par les explications souvent simplistes de la plupart des livres qui citent la détermination de la vitesse de propagation de la lumière par Roemer, et encouragé par la passion d'un groupe d'élèves de 1°S pour l'astronomie, j'avais cru comprendre que ce que Roemer appelle le "retardement de la lumière" pourrait bien ressembler fortement à ce que l'on nomme sous d'autres cieux l'effet DOPPLER. Un "devoir facultatif de recherches personnelles" qui pourrait entrer dans le cadre des futurs programmes de sciences physiques avait vu le jour... mèlant innocemment son et lumière, ondes et mécanique, sous la houlette de la fée Astronomie...

Mais le doute subsistait, malgré des explications convaincantes et passionnées, de multiples discussions et des calculs échevelés, et puis l'Université d'Eté organisée par le CLEA (Comité de Liaison Enseignants Astronomes) au Col Bayard (GAP) a eu lieu...

Dix beaux jours hors du temps, dix jours au bout du monde...
D'autres diront bien mieux tout ce qui s'y passa.

Par une nuit sans Lune et dans le cadre enchanteur de la forêt voisine quelle ne fut donc pas ma stupéfaction lorsque je fus le témoin involontaire mais comblé d'une rencontre que l'on pourra qualifier du troisième type :

Sur le sentier que nombre de stagiaires empruntaient au trot dès le petit matin, deux ombres devisaient avec enthousiasme :

- " Mais dîtes moi, Monsieur DOPPLER, qu'est-ce donc que votre EFFET ?

- C'est la modification de la fréquence apparente d'un signal émis par une source S et reçu par un récepteur M, liée au mouvement relatif de la source et du récepteur...

- Si j'ai bien compris, je pourrais donc prendre comme source du phénomène périodique le mouvement de Io autour de Jupiter, comme récepteur un Cassini contemporain, rivé à la Terre, les mouvements relatifs de la Terre et de Jupiter étant la source des modifications de période (vous aviez dit fréquence mais je me permets la liberté de changer le terme) que j'observe.

- Sans aucun doute Monsieur ROEMER

- Je peux aussi représenter à l'échelle les orbites de la Terre et de Jupiter ainsi que leurs positions respectives tout au long de la période qui va de Septembre à Août

- C'est plus votre métier que le mien

- Voilà qui est fait : on peut constater que pendant toute la durée de ma campagne d'observation, Jupiter est resté bien tranquille et n'a que fort peu bougé!

- Cela semble bien établi.

- Il est aussi indubitable que la vitesse relative de la Terre et de Jupiter est la plus grande lors des quadratures...

- Si j'en crois votre dessin, cela a dû se produire vers la fin Novembre...

- ...alors que la Terre s'approchait de Jupiter à la vitesse de quelques 30 kilomètres par seconde...

- ... puis vers la fin Mai...

- ... alors que la Terre s'en éloignait avec la plus grande vitesse radiale (encore 30 km/s)!

- Quant au moment, privilégié pour vous, où les mouvements de la Terre et de Jupiter n'avaient aucune composante radiale et n'affectaient en rien la mesure de la période de Io...

- ...il se situait évidemment au moment de l'opposition, c'est à dire autour du 28 Février...

- La formule qui porte mon sceau donne la relation qui lie

 

    • la période du phénomène non altéré : T,

       

    • l'écart DT observé,

       

    • la célérité de l'onde qui porte le message : ici ce sera c,

       

    • la vitesse relative des deux objets : ici Vr = 30 ou -30 m/s...

On écrit pour un phénomène que la relativité n'affecte pas :

 

RomDopForm.gif

- Je vois, très cher ami, que vous gardez des contacts avec le monde scientifique... Mais revenons à mon problème : si le phénomène que j'étudie est périodique, je suis libre de le prendre, à mon gré, plus long qu'une seule révolution de Io autour de Jupiter?

- Assurément !

- Par exemple ce pourrait être le phénomène que constituent 40 inter-éclipses consécutives...

- Pas d'objection de ma part.

- Alors, puisque la lumière se propage à raison de 300000km/s alors que la vitesse relative de mon émetteur et de mon récepteur est de 30km/s...

- La modification relative DT/T devrait être de 1/10000...

- la fin du mois de Novembre étant propice à un raccourcissement de la période... et la fin Mai à un allongement...

- Et comme à la date de l'opposition la durée des 40 inter-éclipses était de 101943 minutes, la correction à apporter (en plus ou en moins selon le cas) serait...

- ...de 10 minutes (bien mesurables) et quelques secondes (la mesure est alors plus difficile ! )

- et je laisse à votre appréciation l'interprétation des observations que vous continuez semble-t-il d'effectuer en ce vingtième siècle ! .

- Voici mes résultats pour la campagne 1991 / 1992 :

 

    • durée minimale vers la fin Novembre pour 40 inter-éclipses : 101932 min = 101943 - 11
    • durée maximale vers la fin Mai pour 40 inter-éclipses : 101952 min = 101943 + 9

- Ce qui, compte tenu du fait que vos données sont connues à la minute près, devrait nous satisfaire tous deux pleinement ! ".

J'avoue être resté sans voix et n'avoir pas eu la présence d'esprit de manifester ma présence ; d'ailleurs ils s'évanouirent dans la brume de l'aurore avant que je n'aie repris pied sur la Terre...

Seul subsistait, tracé sur le sable, le schéma des orbites de la Terre et de Jupiter que je ne résiste pas au plaisir de reproduire ici.

RomDopFig.gif

Nota :

    • Les (rares) données numériques sont extraites des éphémérides astronomiques pour les phénomènes concernant les satellites de Jupiter en 1991 et 1992.
    • Le CLEA organise toujours de telles Ecoles d'Eté, et vous pourrez certainement y faire aussi de telles rencontres.
      Pour tout renseignement consultez l'Internet : http : //www.ac-nice.fr/clea.

 

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