Petite histoire du mètre

par clea last modified 2010 Apr 15 15:06


C'est le 4 messidor an VII (22 juin 1799) qu'est signé le procès-verbal de dépôt aux archives de la République des deux étalons fondamentaux du système métrique : le kilogramme étalon représenté par un cylindre de platine fabriqué par Jannetti et Fortin, et le mètre étalon. Créé à partir des mesures de Delambre et Méchain, celui-ci est une règle plate, large de 25,5 mm et épaisse le 4 mm, que l'on a obtenue en chauffant et en martelant une mousse de platine produite par un procédé chimique.

Il s'agit d'un étalon " à bouts " : le mètre est la distance séparant les deux faces terminales de cette règle qui, quelles qu'aient été les précautions prises, ne sont pas rigoureusement parallèles. C'est incontestablement un premier défaut de ce mètre des Archives. Le second sera son inexactitude foncière. Elle apparaît au XIXe siècle, la multiplication des cadastres révèle que le mètre des Archives est trop court : 0,35 mm lui manque pour qu'il représente effectivement la dix millionième par-tie du quart du méridien terrestre. Un mouvement se dessine pour sa révision, les Allemands ayant pris l'offensive. En 1867, une conférence de l'Association géodésique inter-nationale se tient à Berlin ; elle recommande tout à la fois la création d'un nouveau mètre et l'instauration d'un bureau international des Poids et Mesures.

Les Français ne manquent pas de réagir. Napoléon III approuve en 1869 la création d'une commission internationale dont le rôle sera d'aménager le système métrique ; il est prévu alors qu'elle délibérera en août 1870. Compte tenu des événements, c'est en 1875 seulement qu'elle peut se tenir à Paris, du 11 Mars au 20 Mai. Une grande " Convention du mètre " voit le triomphe des thèses françaises avec la signature, par dix-sept États, d'un accord dont le point essentiel est l'implantation en France du bureau international des Poids et Mesures. Celui-ci aura son siège à Sèvres, dans le pavillon construit sur l'emplacement du " Trianon de Saint-Cloud " que le duc Louis-Philippe d'Orléans avait offert à son chancelier, l'abbé de Britinis, bailli de Breteuil. Il connaîtra la célébrité sous le nom de pavillon de Breteuil.

Aux termes de la convention, c'est dans ce pavillon qu'est déposé un nouvel étalon du mètre. Sa section a une forme d'X ; il est fabriqué en alliage, homogène et dur, de platine-iridium, et il est gravé : le mètre est, par définition, la distance de deux traits portés par cet étalon. Comment a été définie leur distance ?

Tout simplement en " copiant " le mètre des Archives. Autrement dit, on a renoncé à la référence terrestre. Le mètre de Breteuil est un hommage rendu au travail de Delambre et Méchain : on adopte leur détermination. Trente copies de ce mètre étalon sont créées : la France reçoit, pour son usage propre, le mètre n° 8. Toute cette activité est sanctionnée par la première Conférence générale des Poids et Mesures qui se tient en 1889.

Rétrospectivement, on devra trouver judicieuse la décision ayant consisté à déconnecter le mètre du méridien, car toute nouvelle détermination serait restée à la merci de mesures plus précises. Plus grave. Il y a deux siècles, la Terre était considérée comme un solide indéformable. On avait l'illusion que l'on aurait pu, dans la glace arctique, planter un clou qui aurait désigné le pôle Nord pour l'éternité et, sur les continents, faire courir une corde qui aurait marqué l'équateur. Or les scientifiques ont de bonnes raisons de penser que la taille de la Terre augmente : son rayon pourrait croître de plusieurs millimètres par siècle. Surtout, nous savons aujourd'hui que les régions centrales du globe connaissent une perpétuelle restructuration, de sorte que l'axe de la Terre change, et le pôle Nord ne cesse, en conséquence, de voyager. Depuis un siècle, son déplacement s'est à coup sur chiffré en mètres. Le mètre de Breteuil est-il pour autant la solution idéale ? On en est persuadé pendant plus d'un demi-siècle. On émet un autre avis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Outre quel appareil fastidieux de devoir venir du monde entier à Sèvres pour comparer les étalons, on découvre au mètre de Breteuil deux défauts. C'est d'abord , en dépit des précautions dont il est entouré son inévitable déformation par le temps. C'est par ailleurs l'incertitude induite par la dimension et par l'irrégularité des traits.

Ainsi, dès 1948, des recherches sont entreprises pour disposer d'une référence particulièrement stable. Elle est trouvée dans la longueur d'onde de la radiation orangée du krypton 86 dont on montre quelle constituera un étalon cent fois plus précis. Il est adopté officiellement par la Conférence générale des Poids et Mesures, le 14 octobre 1960, et rendu obligatoire en France par le décret 61-501 du 3 mai 1961. Ce dernier stipule, dans son article 2, que " le mètre est la longueur égale à 1 650 763,73 longueurs d'onde, dans le vide, de la radiation correspondant à la transition entre les niveaux 2 p 10 et 5 d 5 de l'atome de krypton 86 ...

Cette nouvelle définition prend place dans une vaste réforme qui au vieux système métri-que substitue un système international, dit SI, afin de définir idéalement toutes les grandeurs physiques à partir de sept unités fondamenta-les, à savoir le mètre (unité de longueur), le kilogramme (unité de masse), la seconde (unité de temps), l'ampère (unité d'intensité de courant électrique), le kelvin (unité de température thermodynamique), la mole (unité de quantité de matière), la candela (unité d'intensité lumineuse). Le mètre de La Caille avait vécu quatre ans le mètre des Archives, quatre-vingt-dix ans ; le mètre de Breteuil, soixante et onze ans. Le mètre défini à partir de ta radiation du krypton vivra vingt-cinq ans.

En 1986, en effet, suite aux recommandations de la 17e Conférence internationale des Poids et Mesures, ce mètre atomique a été remplacé par le mètre lumière, qui est le mètre officiel actuel. Nous devons présumer que c'est le mètre enfin définitif, la référence étant non plus une longueur, mais un temps. Le mètre lumière est la 299 792 458e partie de la distance parcourue par la lumière dans le vide en une seconde, de sorte que la détermination du mètre est désor-mais tributaire de la seconde, celle-ci ayant cessé d'être une fraction du jour solaire depuis que ce fait s'est imposé : la Terre ne tourne pas rond. La seconde vaut aujourd'hui, par définition, 9 162 631 770 périodes de la radiation cor-respondant à la transition entre les deux niveaux hyper fins de l'atome de césium 133. On changera peut-être un jour cette définition de la seconde, mais sans doute pas le rapport entre seconde et mètre.

Et d'une certaine manière, nous sommes aujourd'hui dans un système qui ne comporte plus que six unités fondamentales puisque la longueur ne peut plus prétendre à ce titre. Après avoir été considérée comme la grandeur à partir de laquelle toutes les autres devraient être définies, elle a déclaré forfait, laissant ce rôle de pilote au temps. Avec de très bonnes raisons. Les mesures du temps sont de loin celles pouvant aujourd'hui prétendre aux meilleures précisions, de sorte que le système métrique est devenu un système secondaire dont le grand gardien est par excellence le Bureau international de l'Heure, fort des moyens que lui apportent les satellites à l'heure d'Ariane, pour synchroniser les horloges à l'échelle des continents... Etrange retour des choses.

Le mètre pendule était, il y a deux siècles, méprisé par ceux auxquels répugnait l'idée de faire dépendre du temps l'étalon de longueur.
Cette dépendance est, à l'heure du mètre lumière, considérée comme le fin du fin...

 

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