Une belle légende

par Francis Berthomieu last modified 2010 Oct 20 16:53


Mythes Indiens.

 

Se plonger dans les mythes fondateurs de l'Inde, c'est explorer un vaste labyrinthe... Les dieux y sont nombreux : certains sont bons avec les humains, ce sont les Devas, mais ils ont des ennemis, les Asuras ! Vishnu est le protecteur du monde, Siva préside aux tempêtes, irascible vengeur de tout affront fait aux dieux mais également pasteur des âmes... Quant à Brahma, c'est le dieu créateur de l'univers et de tout ce qui le peuple : Daksha, le futur maître des créatures terrestres n'a pas manqué de naître... de son gros orteil. Quant à Indra, c'est le monarque tout puissant, le Roi des dieux...
Voilà donc nos personnages ! On peut frapper les trois coups...

Tout là haut, dans le ciel, là où Daksha l'a placé pour qu'il l'assiste dans la si délicate gestion du Monde, le Seigneur Lune veille. Daksha est plus spécialement chargé de veiller sur les Jours : Lune régne sur la Nuit... Tâche trop monotone hélas : pas la moindre voix, pas la moindre lueur, une accablante solitude, une terrible obscurité... « Je reconnais mon bonheur, dit-il un jour à Daksha, je sais que les humains m'aiment, qu'ils craignent l'écrasante chaleur du Soleil et préfèrent ma douce lumière. Je sais que ma lueur les invite à la danse, à la musique et à l'amour... mais je suis seul et je m'ennuie... » Daksha, compréhensif et bon, propose donc un marché : « Je vais t'offrir quelques unes de mes filles pour égayer tes longues veilles ». C'est ainsi que le ciel se trouva peuplé par vingt-huit nouvelles venues, toutes plus belles et chatoyantes les unes que les autres. Le Seigneur Lune fut émerveillé lorsqu'il les vit se prendre par la main pour danser une gigantesque ronde tout autour de la voûte céleste.

Mais ce qui devait arriver arriva : l'une d'elles conquit son coeur ; celle dont l'épaule scintillait de tous les feux de l'étoile rougeâtre que nous nommons Aldébaran. - « Qui es-tu ? » demanda-t-il fasciné. - « Rohini , la rouge », répondit-elle sobrement, avec un discret petit rire qui le fit fondre de désir. - « Tu es très belle, Rohini, souple et élancée comme un roseau, ton parfum est celui du bois de santal... » et il resta sans voix. Mais dès ce jour, il ne la quitta plus, délaissant les vingt-sept autres filles de Daksha qui ne tardèrent pas à s'en plaindre à leur père.

« Je ne t'ai pas donné mes filles pour que tu les méprises. Partage tes faveurs entre toutes également. Si tu n'obéis pas, malheur à toi ! » On dit souvent que l'amour rend aveugle. Il rendit sans doute Lune sourd, qui ne prit pas la peine d'obtempérer aux ordres de Daksha. Et le châtiment fut terrible : Lune tomba aussitôt malade et se mit à s'affaiblir de jour en jour. Et sur la Terre une période de désolation commença : on vit les plantes se dessécher, les fleurs perdre leur parfum, les animaux dépérir et quelques hommes succomber... Les Devas, inquiets coururent chez Daksha, pour le supplier de rendre sa santé au Seigneur Lune pour sauver les créatures terrestres... Ils surent convaincre Daksha qui consentit à atténuer le châtiment, sans pour autant revenir sur sa décision de punir le Seigneur de la Nuit. « D'accord, annonça-t-il. Sa maladie ne le fera souffrir que quinze jours. Quand il approchera de sa fin, il devra se plonger dans le fleuve Sarasvati, pour y retrouver ses forces. Pendant les quinze jours suivants, il recouvrira sa santé ».

Le Seigneur Lune n'était déjà qu'un fil d'argent dans le firmament, prêt à s'éteindre... La nuit suivante, personne ne le vit : il prenait son bain dans le Sarasvati.

Le surlendemain, il fit une timide apparition, puis de jour en jour se montra plus vigoureux, pour retrouver au bout de quinze jours toute sa vigueur d'antan. Certes, sa maladie revient périodiquement pour lui rappeler les exigences de Daksha. Aussi ne manque-t-il plus jamais de passer une nuit entière avec chacune des vingt-huit soeurs. Il ne peut rendre visite à Rohini qu'une fois par mois, et cette attente est bien souvent trop longue.

Alors, soyez attentifs, toutes les nuits, à la place qu'occupe Lune dans le ciel. Le Seigneur de la Nuit a chaque soir une nouvelle étoile pour compagne, tantôt celle-ci, Régulus, à l'extrémité de la patte avant du Lion, ou celle-là, qui forme l'Epi, dans la main de la Vierge. Plus tard, ce sera Antarès, l'étoile rouge du Scorpion... ou la tendre Aldébaran, sur la douce épaule de Rohini. Regardez attentivement le ciel : certains soirs sont favorables. Vous pourrez parfois observer un bien curieux spectacle. Lune est tantôt un tout nouveau petit croissant, filet d'or dans le firmament, tantôt une boule rubiconde. Mais sa face est illuminée de joie quand Rohini est dans ses bras. Alors, Aldébaran se cache derrière les deux amoureux. Ignorant ce que diraient les poètes, les astronomes parlent d'une « occultation »... Après quoi, Lune reprendra sa route, pour un long mois, loin de sa belle.

Ne vous inquiétez pas trop pour Rohini ! Elle saura reconquérir son élu : n'est elle pas devenue, la protectrice des amoureux, et n'est ce pas vers elle qu'ils tournent leurs regards lorsqu'ils se prennent tendrement la main dans l'obscurité ?

Mais revenons sur la Terre !

Un beau jour, Dieux et Démons sont réunis sur le Mont Meru pour débattre avec ardeur du moyen d'obtenir l'élixir d'éternité, l'Amrita... Ce sera bien sur à Vishnu de proposer la solution : il suffit de « battre l'Océan », comme chez nous on bat le beurre... « Que les Devas agitent le bassin de l'Océan, et l'on verra surgir le fameux élixir, ainsi que maints joyaux et plantes nouvelles ! » Sitôt dit sitôt fait : ils arrachent le Mont Mandara, le lient solidement au dos d'une tortue, et enroulent le serpent Vasuki autour de ce battoir géant. Un instant réconciliés, les Asuras se saisissent d'une des extrémités du serpent, les Devas se chargent de l'autre, et d'un puissant mouvement de va et vient, depuis les bords de l'Océan, ils font tourner le Mont Mandara sur son flotteur improvisé, dans un sens, puis dans l'autre... Et voilà que les arbres de la montagne, abattus par cet impétueux mouvement, subissent des frictions si terribles qu'ils s'enflamment ! Indra, heureusement, noie l'incendie sous des torrents de pluie : trop tard, la sève de toutes les plantes, libérée, dévale les pentes et se rue vers l'Océan, qui se transforme en lait, puis en beurre... De ce liquide primordial, de cette « soupe primitive » vont naître le Soleil, la Lune, une infinité de trésors... et bien entendu le divin médecin Dhanvantari, porteur de l'élixir tant souhaité...

Dans l'inévitable mêlée générale qui suivit, tous voulaient profiter de l'aubaine. Bien sûr, les Devas, toujours sages, avaient pris une sage initiative : Vishnu se chargea d'interdire aux démons l'usage de l'élixir ! Mais voilà pourtant que l'un d'entre eux s'empara du breuvage. Lune et Soleil, heureusement, veillaient : Vishnu fut immédiatement prévenu du danger ! Il accourut sans délai. Voyant le démon porter la fiole à sa bouche, il dégaina son sabre divin. La tête de l'effronté fut tranchée et roula au loin : Trop tard ! Quelques gouttes d'élixir avaient déjà coulé dans son gosier tranché...

C'est ainsi qu'apparurent Rahu, la tête sans corps, et Kéthou, le corps décapité, tous deux immortels et rageurs. Ils ont juré d'en finir avec le Seigneur Lune et son compère le Soleil, responsables de leur malheur. Ils se sont cachés dans la voûte céleste, sournois et invisibles. Ils font pourtant partie des planètes que les astronomes indiens poursuivent, astres invisibles qu'il faut pourtant situer avec précision parmi les constellations du ciel, de jour comme de nuit, pour prévoir leurs inéluctables méfaits....

Il arrive en effet que nos luminaires préférés, Lune ou Soleil, se hasardent imprudemment dans les contrées que hantent nos deux spectres. C'est alors le drame : ils se font l'un ou l'autre dévorer par le monstre. On voit bien l'avancée des mâchoires sur leur disque lumineux : l'éclipse se produit, inéluctable. Et si la Lune se teinte de rouge en ces occasions, c'est bien évidemment de la couleur de son propre sang !

Heureusement, lorsque Rahu dévore ses victimes, nulle digestion n'est possible : à peine a-t-il dégluti que sa victime peut reparaître, indemne, à l'orifice de son cou. L'éclipse prend fin... On ne sait pas très bien ce qui se passe avec Kéthou, sans bouche, et donc sans dent ! Il est pourtant aussi à l'affût et ne manque pas de provoquer comme sa "moitié", de sinistres disparitions. Heureusement, les humains savent aussi effrayer efficacement les deux monstres : en déclenchant coups de tambours, gongs et autres cymbales, on accélère, c'est bien connu, la fin du phénomène !

 

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