La méthode des galaxies sosies

par Jean-Noël TERRY last modified 2010 Oct 22 08:30

Vous ne l'avez peut-être jamais réalisé, mais, pour mesurer une longueur, il faut avoir une règle étalonnée. Il en va de même pour mesurer la distance des galaxies. La règle de référence sera la distance de l'une des galaxies proches, si proche que sa distance aura pu être mesurée (disons en parsecs) grâce à l'étude de son contenu stellaire (les étoiles variables Céphéides par exemple).

Les satellites, en particulier Hipparcos, lancé en 1989 par une fusée Ariane, ont permis d'obtenir de telles distances.
Ainsi la galaxie d'Andromède (alias Messier 31 ou M31) se situerait à la respectable distance de 0,8 Mpc, ou 2,6 millions d'années-lumière ou, dit en logarithme, à un module de distance de µM31 = 24,7.
Ayant notre règle étalonnée, il reste à comparer les distances des galaxies lointaines à cet étalon. C'est ce que va nous permettre de faire la relation de Tully-Fisher et la méthode des sosies.

Si nous choisissons des galaxies lointaines ayant la même inclinaison que celle d'Andromède, le même type morphologique que celui d'Andromède et la même vitesse de rotation que celle d'Andromède, la relation de Tully-Fisher nous dit ipso-facto que ces galaxies ont la même magnitude absolue qu'Andromède. Point n'est besoin de savoir corriger de l'inclinaison (elle est la même). Point n'est besoin de savoir si le rapport masse sur luminosité dépend du type morphologique de la galaxie (il est le même). Point n'est besoin… (Cette redondance oratoire rappelle la formule célèbre de Victor Tryoën : " la répétition fixe la notion ").
Nous pouvons résumer simplement en disant que tout étant pareil, tout est pareil, y compris la magnitude absolue. Absolument !

 


Exemple de deux galaxies "sosies".
Elles se ressemblent mais en plus elles tournent à la même vitesse.

Ecrivons alors le module de distance d'Andromède (que nous désignerons par M31) et faisons de même pour une galaxie lointaine :

 

µM31 = mM31 -MM31

 

et µ = m - M

Par différence entre ces deux relations, nous trouvons (en se rappelant que MM31 = M) :

 

µ = µM31 + m - mM31

Nous voyons donc que la distance de notre galaxie lointaine est égale à la distance de M31 augmentée de la différence des magnitudes apparentes (que l'on sait mesurer). Tout simple !

Bon, alors, au travail !

 

La sélection des galaxies sosies d'Andromède :

Pour sélectionner les sosies d'Andromède, nous puiserons dans une base de données gigantesque : la base LEDA. Créée en 1983 à l'Observatoire de Lyon, elle a été continuellement mise à jour depuis, puis incorporée, en 2004, au système plus général Hyperleda.
Les galaxies y sont enregistrées avec leurs principaux paramètres observés : magnitude, vitesse, largeur 21 cm, inclinaison, type morphologique... bref, tout ce que vous désirez savoir sur votre galaxie favorite !

Son adresse internet est :

 

http://leda.univ-lyon1.fr/leda

Un questionnaire en langage SQL permet de lancer une recherche et d'obtenir la liste des sosies dans un fichier de son choix.

Par exemple nous désirons obtenir :

    • le nom de la galaxie sosie, noté " pgc " dans la base (pour M31 c'est 2557, mais on peut obtenir les autres noms dans les autres catalogues, selon sa convenance).
    • la magnitude en couleur bleue, totale (on veut toute la lumière), et corrigée de l'extinction galactique. Cette magnitude est notée " btc ".
    • la vitesse radiale de la galaxie, ce qu'on appelle la vitesse de fuite (cette vitesse nous servira ultérieurement pour calculer la constante de Hubble). Nous choisirons la vitesse rapportée au centre du groupe de galaxies locales (ce qu'on appelle Groupe Local), d'où la désignation " vlg " pour vitesse par rapport au groupe local.

Cette demande se fait avec l'instruction :

 

Select pgc, btc, vlg

Mais cette sélection doit se faire pour les galaxies répondant à la définition des sosies. Nous avons quelques explications à donner. Accrochez-vous !!

 

  • Le type morphologique est codé, selon la méthode de G. de Vaucouleurs, de -5 pour les galaxies elliptiques à 10 pour les galaxies irrégulières, en passant par 3 pour les galaxies spirales comme Andromède. Or nous voulons des galaxies " comme " Andromède… ou à peu près. Donc nous voulons que le code, noté t, soit compris entre 2 et 4. (On ne sera pas trop sévère sur le type qui est le paramètre déterminé avec le moins de précision).

          Ce qu'on écrira : abs(t-3) 1

    abs est la fonction " valeur absolue ".

     

  • L'inclinaison de la galaxie : une galaxie vue de face a un contour à peu près circulaire.
    Une galaxie vue sous un angle d'inclinaison quelconque aura un contour en forme d'ellipse. Le rapport des axes de cette ellipse (a /b ou b/a) nous renseignera sur l'inclinaison. Dans la base de données, ce rapport d'axes est donné en échelle logarithmique et est noté " logr25 " .

    Pour Andromède, logr25 = 0,48 ± 0,05. Pour obtenir les galaxies ayant la même inclinaison qu'Andromède, nous dirons, comme précédemment :

          abs(logr25 - 0.48)0.05

     

  • La vitesse de rotation de la galaxie : c'est le dernier critère de sélection. Pour sélectionner les galaxies qui tournent à la même vitesse qu'Andromède (c'est-à-dire qui ont la même largeur 21 cm, notée w20 ), nous écrirons de même :

          abs(w20-536) 50 (ce sont des km par seconde)

    Comme nous voulons les trois conditions en même temps, il suffit de mettre les connecteurs logiques qu'il faut, et l'instruction complète devient :

     

    Select pgc, btc, vlg where abs(t-3)1 and abs(logr25-0.48)0.05 and abs(w20-536)50

    Après une courte réflexion de la machine, et grâce au miracle Internet, nous obtenons une liste de 26 galaxies. Dont M31 (pgc2557), c'est bien normal d'être son propre sosie !

     

    Sachant que la magnitude d'Andromède est btc = 3,20 et que son module de distance est µM31 = 24.7, nous n'avons qu'à appliquer la formule déjà donnée :

     

    µ = µM31 + m - mM31

    dans laquelle les magnitudes apparentes seront les btc, et nous obtenons les modules de distance pour chacune des galaxies.
    On obtient alors la distance en mégaparsecs en utilisant la formule liant magnitude absolue et magnitude apparente :

     

    µ = m - M = 5 log10 r + 25 ( d en Mpc)

     

    Vers la constante de Hubble :

    Si nous voulons calculer les distances, ce n'est pas pour aller y passer nos vacances. Notre objectif pourrait être, par exemple, de tester la loi de Hubble qui nous dit que la vitesse de fuite d'une galaxie est d'autant plus grande que la distance est grande. C'est la fameuse loi de Hubble : V = H.r

     

    Soit une valeur moyenne de H d'environ 76 km.s-1.Mpc-1.

     

    Quelques remarques :

    La valeur trouvée ici est un peu supérieure à celle habituellement retenue par les astronomes. En fait les choses sont, comme souvent, un peu plus compliquées que cela.

    Les paramètres utilisés pour sélectionner les sosies ont une dispersion intrinsèque, comme tout paramètre physique. Cela serait sans conséquence si notre base était complète, c'est-à-dire contenait toutes les galaxies. Or ce n'est pas le cas. Les galaxies " perdues " sont, bien entendu, les moins lumineuses. Plus on observe loin… et plus nous en perdons !

    Ce problème est connu sous le nom de biais de Malmquist … mais c'est une autre histoire !

    Si vous voulez vous convaincre qu'il y a un biais visible, calculez H moyen pour des vitesses inférieures à 4 000 km/s, puis inférieures à 5 000 km/s et enfin inférieures à 6 000 km/s, vous verrez la constante de Hubble augmenter progressivement. Et encore, les galaxies sosies de M31 sont biaisées à grande distance, car M31 étant très lumineuse, nous ne perdons pas facilement les galaxies semblables. Mais recommencez le même travail en prenant les sosies de M33, la petite galaxie du Triangle. Le biais apparaîtra beaucoup plus tôt, dès 1 000 km/s.

     

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