La Relativité Générale, une théorie longtemps incomprise

par Christian Larcher last modified 2016 Feb 28 21:29

Pour le centenaire de la publication de la relativité générale, la Bnf organise un cycle de conférences "Les Mécanos de la Générale, cent ans après la Théorie de la Gravitation d'Einstein" . Vous trouverez ici un résume de la conférence donnée par Jean Eisenstaedt (CNRS Observatoire de Paris) le 13 octobre 2015 :
"La Relativité Générale, une théorie longtemps incomprise"

Jean Eisenstaedt (J.E.) est un historien de la RG et en tant que tel il construit son intervention sur de nombreuses citations de contemporains d’Einstein. Ces citations font l’objet de projections vidéo qu’il commente.

Le Colloque de Berne 1955  commémore les cinquante ans de la RR ; mais c’est la RG qui est à l’honneur. Einstein vient de mourir.

J.E. fait observer que la RG « marche du tonnerre » pour expliquer l’anomalie du périhélie de Mercure, qui correspond à une valeur extrêmement petite  (moins d’une minute par siècle), exactement 43 secondes d’arc.

Max Born raconte qu’en 1913, pendant sa lune de miel et au grand dam de son épouse, il lisait pendant des heures des tirés à part des articles d’Einstein. « Ces papiers me semblaient fascinant, mais difficiles et presque effrayants. Les fondations de la relativité générale m'apparaissaient alors, et encore aujourd'hui, comme le plus grand exploit de la pensée humaine quant à la Nature, la plus stupéfiante association de pénétration philosophique, d'intuition physique et d'habileté mathématique. Mais ses liens à l'expérience étaient ténus. Cela me séduisait comme une grande œuvre d'art que l'on doit apprécier et admirer à distance."

De Newton à Einstein

Au début du XX° siècle, avec la théorie universelle de la gravitation, tout allait bien, à part la toute petite anomalie du périhélie de Mercure.  On supposait que cette anomalie serait bientôt résolue, par exemple en découvrant une petite planète perturbatrice.

Mais pour Einstein il est insupportable d’utiliser deux cinématiques différentes pour combiner des vitesses celle de Galilée d’une part et celle de la théorie  électrodynamique de Maxwell dans  laquelle la vitesse de la lumière dans le vide est indépendante du référentiel.

La Relativité Générale, épistémologie et mathématiques

Max Laue écrit en 1959 au sujet de la RG : « Lentement, mais sûrement, un monde nouveau s'ouvrait devant moi. Je dus y consacrer bien des efforts [...]. Tout spécialement des difficultés d'ordre épistémologique me mettaient fort dans l'embarras. J'estime n'en être venu à bout qu'à partir de 1950, à peu près »

Albert Einstein lorsqu’il était étudiant au Polytechnicum de Zürich était considéré par Minkowski, son professeur de mathématique,  comme plutôt « fainéant » cependant le 15 octobre 1907 il lui écrit : « j'ai été heureux d'entendre de différents milieux le grand intérêt qui s'exprimait quant à vos succès scientifiques ». Lui-même se préoccupe de la structure de l’espace-temps et du temps propre.

Mais Einstein a du mal à suivre et il écrit à Sommerfeld : « Depuis que les mathématiciens ont envahi la théorie de la relativité, je n'y comprends moi-même plus rien » Heureusement qu’un de ses amis d’étude au polytechnicum de Zürich, Marcel Grossman, spécialiste de la géométrie riemannienne, lui apportera une aide précieuse. 

Relativité Générale, articulant un principe et des mesures ultra précises

Elle repose sur le principe d’équivalence. L’expérience montre que tous les corps tombent de la même manière. Par conséquent dans un ascenseur qui tombe en chute libre il n’y a plus de gravitation. La force d’accélération est identique à la force de gravitation, il y a équivalence totale entre les deux. Einstein suppose que tous les repères accélérés ou non sont équivalents et pas seulement les systèmes inertiels.

Max Planck pour sa part considère qu’Einstein perd un peu son temps, il  lui écrit en 1907 : « Tout est maintenant si bien ficelé, pourquoi vous inquiétez-vous de ces problèmes ? ». « Je préfère vous mettre en garde en tant que vieil ami expérimenté. Pour commencer, vous n'y arriverez pas. Et même si vous y arrivez, personne ne vous croira ! »

A l’époque Einstein pense déjà aux trois tests devenus classiques :

- L’avance du périhélie de Mercure

- La prédiction de la déviation de la lumière par un astre

- Le décalage des raies spectrales par la gravitation

C’est la prédiction de l’avance du périhélie de Mercure qui constitue la « pierre de touche » de la RG. Le 9 décembre 1915 il écrit à Sommerfeld : « Le résultat du mouvement du périhélie de Mercure me donne une grande satisfaction. Comme nous est utile la précision pédantesque de l'astronomie dont je me suis souvent moqué dans mon for intérieur ! » 

Il détermine la déviation de la lumière en théorie newtonienne ; puis il montre que cette  déviation doit avoir une valeur double dans le cadre de la RG.  

Lors de l’éclipse de 1919 la déviation de la lumière au bord du Soleil est mesurée à Sobral au Brésil et en Afrique. Et c’est la gloire !

 Le CR de l’expédition à la Royal Society fut dithyrambique : « L'atmosphère d'intense émotion fut précisément celle du drame grec. Nous formions le chœur qui commente les décrets du destin, tels qu'ils sont révélés par le cours de l'événement suprême. Il y avait un élément dramatique dans le très scénique, très traditionnel cérémonial avec, en arrière-plan, le portrait de Newton pour nous rappeler que la plus grande des généralisations de la science venait maintenant, après plus de deux siècles, de recevoir sa première modification. Nul intérêt personnel ne se trouvait en jeu : une grande aventure de la pensée venait enfin d'aborder heureusement au rivage. » (Whitehead 1926)

Une théorie  controversée

Par la suite, on trouvera pourtant que ces observations ne sont pas très convaincantes et seule l’explication de l’anomalie du périhélie de Mercure résistera aux critiques. Ce qui explique la longue traversée du désert de la RG entre 1920 et 1970 comme l’atteste le relevé chronologique du nombre total de publications sur le sujet présenté par le conférencier.

Avant un retour triomphant, et même si sa beauté est soulignée, elle fut l’objet de nombreuses critiques, comme l’illustrent les nombreuses citations proposées :

« Pour le moment je ne voudrais jamais accepter la théorie d'Einstein, belle mais bizarre, astucieuse mais non pas la vraie représentation de l'univers physique.»
« Je ne me sens pas prêt à avaler la théorie d'Einstein avant bien longtemps, sinon même jamais. Je suis un hérétique"
(Curtis 1923).

« La plupart des physiciens voient la relativité générale comme un obscur marécage qui demande un travail épouvantable avant d’y comprendre quoi que ce soit » (Bondi 1990).

« La théorie de la relativité générale est restée pour de longues années un monument de spéculation mathématique, frappante quant à son ambition et sa beauté formelle » (Levy et Deser 1978)

« Beaucoup de physiciens sont très troublés par la théorie d'Einstein. La plupart d'entre eux admettent que la théorie de la relativité générale est une belle théorie, mais ils ajoutent qu'à cause de la faiblesse des forces gravitationnelles la théorie de la gravitation est marginale [...]. Certains physiciens vont jusqu'à dire que la relativité générale ne doit pas être considérée comme une théorie physique. La plupart des discussions commencent ou se terminent par le reproche que la relativité générale n'a été soumise qu'à trop peu de tests, comme si cela était la faute des relativistes ! Certains considèrent les relativistes comme des mathématiciens plutôt que comme des physiciens. Dans certains cercles on les tient pour des éléments socialement indésirables. [...] Il y a plusieurs raisons à ces incompréhensions. D'un côté, certains relativistes considèrent que la théorie d'Einstein est dans une sorte de relation de supériorité face aux autres théories. [...]    D'autre part de nombreux physiciens travaillant dans d'autres champs ne sont pas près d'étudier la géométrie riemmanienne qui est indispensable pour comprendre la relativité générale (Trautman 1966).

Cette théorie était trop formelle, « ses liens avec l’expérience étaient trop ténus » (Born 1955)

« En tant qu'expérimentateur, j'ai décidé de neutraliser, jusqu'à un certain point, l'incontestable tendance qu’a eu dans le passé la relativité générale à se développer en une science formelle, séparée à la fois des observations et du reste de la physique » (Dicke 1964)

« Durant ces quarante dernières années, les trois tests classiques ont été le principal, et à une exception près, les seuls liens entre la théorie générale et l'expérience. L'exception repose dans le champ de la cosmologie » (Oppenheimer)

On lui reproche parfois une forme « presque mystique ». « Personnellement je ne doute pas vraiment de la justesse des conclusions d'Einstein et je considère qu'il s'agit d'un travail de grande qualité, mais j'ai un peu peur qu'il ait tendance à menacer beaucoup de scientifiques en les entraînant loin du champ de l'expérience vers celui des conceptions métaphysiques. Nous avons déjà plein de types de ce genre et nous ne voulons pas en avoir beaucoup plus si la Science doit aller de l'avant. » Rutherford 1920.

 D’une poignée d’irréductibles à une reconnaissance générale

« Vous n'aviez qu'à savoir ce que faisaient vos six meilleurs amis et vous saviez tout ce qui se passait en relativité générale » (Bermann)

« Nous, qui travaillions dans ce domaine, étions plutôt mal vus par les autres physiciens. Einstein lui-même me faisait souvent remarquer « dans Princeton, ils me considèrent comme un vieux fou » 

« La théorie de la relativité n'étais pas très estimée à l'Ouest et mal vue à l'Est» (Infeld 1964)

 Mais en 1959, une nouvelle preuve expérimentale, l’expérience de Pound et Rebka change la donne.

Il s’agit de l’expérience permettant de vérifier le décalage spectral gravitationnel.

"Voici des jours excitants ! La théorie de la gravitation d'Einstein, sa théorie générale de la relativité de 1915, est passée du royaume des mathématiques à celui de la physique. Après quarante ans de vérifications astronomiques pauvrement clairsemées, de nouvelles expériences terrestres sont possibles ». (Schild 1960)


Cécile de Witt: "L'histoire de la transformation prodigieuse de la Relativité Générale pendant ces dix dernières années est chose connue ; d'un bras mort où quelques théoriciens poursuivaient leurs recherches, elle est passée aux avant-postes, en pleine effervescence, qui attire un nombre croissant de jeunes talents, ainsi que de crédits importants destinés aux recherches expérimentales"
(De Witt 1973).


Bernard Schutz 2012 : " Mon analyse c’est que la relativité générale n’a pas été une théorie physique achevée avant les années 70."
(Bernard Schutz 2012).

 Il reste pourtant des réticences

"De tous les physiciens, le relativiste est le moins engagé socialement. Il est le grand spécialiste en théorie de la gravitation et la gravitation est socialement signifiante, mais il n'est pas consulté pour la construction d'une tour, d'un pont, d'un bateau, ou d'un avion et même les astronautes peuvent se débrouiller sans lui jusqu'à ce qu'ils se demandent dans quel éther voyagent leurs signaux […]

Couper les cheveux en quatre dans une tour d'ivoire n'est pas du goût de tout le monde, et sans aucun doute plus d'un relativiste attend le jour où le gouvernement lui demandera son opinion sur les questions importantes. Mais que signifie « important » ? La science a une double visée, comprendre la nature et la conquérir, mais pour ce qui concerne la vie intellectuelle de l’homme c’est sûrement la compréhension qui est la chose la plus importante. Alors laissons le relativiste rejoindre sa tour d'ivoire où il a la paix pour chercher à comprendre la théorie d'Einstein aussi longtemps que ce monde mouvementé se satisfera de faire ses affaires sans lui" (Synge 1960).

 

Le cycle de conférence à la Bibliothèque nationale de France François Mitterrand

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